Le contexte minierRoger Aliquot ne peut manquer de peindre ne serait-ce que par des paysages les réalités environnementales au premier rang desquelles il faut compter les sites industriels (centrales thermiques, trafic ferroviaire, etc.) et les mines de charbon.
Mais, pour les mines, c'est une évocation du "jour" et non du "fond", qu'il ne peut connaître autrement que par ouï-dire. En effet, descendre dans la mine est rigoureusement réglementé : n'y descend pas qui veut. Il faut une autorisation spéciale et le Général de Gaulle lui-même, Président de la République, en a besoin lorsqu'il emprunte la cage étroite du mineur pour descendre au fond en septembre 1959.
L'évocation du mineur, la méconnaissance que l'on en a, y compris sur le plan local, et qui confine à la cécité, tous milieux confondus, est étonnamment répandue dans la région. Ce problème est largement évoqué sous la plume de C. AMOUDRU, ancien Médecin-Chef des Charbonnages de France.
Sur l´absence de représentation du mineur dans les
arts |
Les peintres, houilleurs pour certains, qui exposent dans les Salons du Nord ou qui participent aux séances de critiques de l'Association des Amis des Beaux-Arts en y apportant leurs œuvres ne tirent pas leur source d'inspiration de ce métier ni de son environnement, mais profitent de ce passe-temps pour s'évader vers des horizons lumineux. Ils n'évoquent leur milieu que de façon anecdotique, à travers quelques paysages ou des natures mortes incluant des objets ayant à voir avec la mine ou les coutumes des mineurs : la sacro-sainte cafetière ou la lampe de mineur. Leurs sujets de prédilection sont plutôt, comme on peut l'imaginer, la lumière subtile d'un paysage, la verdure de frondaisons luxuriantes, le glacis clair d'un marais, bref tout ce dont ils manquent tant en travaillant au fond dans les bowettes (cf. les aquarelles et les gouaches de Simon JANKOWIAK). Néanmoins, le spectacle quotidien d'un milieu fortement marqué par l'industrie et l'exploitation de la houille ne peut manquer d'affleurer et de s'exprimer dans les toiles. L'exergue du salon en hommage à Matisse n'évoque peut-être pas les mines explicitement mais donne un aperçu des sources d'inspiration qui motivent alors les artistes ainsi assemblés : Les thèmes les plus humains les plus vrais sont développés ; là c'est la misère humaine, là c'est l'amour, la jeunesse, l'enfance ; plus loin c'est le désespoir, le deuil, ailleurs le travail, le quotidien, le rêve, là encore la beauté, la femme, le déclin ; le rythme du monde moderne auquel personne n'échappe, quelques regrets attardés, au bord d'un paysage romantique et la réalité réapparaît avec l'usine, les péniches, les eaux noires, la ruelle, la vie qui n'est pas toujours celle qu'on souhaiterait, mais qu'on supporte, il le faut bien ! Voici l'extase de la beauté des choses, des fruits, des coquillages, du vieux moulin à café, de la croûte de pain, le pain de chaque jour qui ne doit pas manquer - Entourée d'une baguette d'or, c'est la chaise bancale, puis le tonneau de la cour, le mur du jardin, le jardin du pauvre, le pauvre clown, mais le clown est un homme, il est parfois triste, triste comme cette rue lamentable et tragique, et le cycle recommence et ainsi va la vie et la vie t'inspire, toi, mon ami artiste. Tu es le miroir par lequel on voit ces choses, qui sans toi, ne seraient que banalités, insuffisances et tristesse. Roger Aliquot (Texte en exergue du catalogue de l'exposition Salon du Nord en hommage à Matisse 1959)
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Roger Aliquot bien sûr n'échappe
pas à ce mouvement et produit certaines toiles mettant en
scène le paysage industriel omniprésent de sa
région d'adoption. Train de marchandises dans la nuit -
vers 1960 Il est d'ailleurs très souvent sollicité pour exécuter des portraits de mineur, car la demande est forte dans la bourgeoisie locale, qui souhaite agrémenter son intérieur d'une "tête de mineur". Il se refuse pourtant, catégoriquement, à exploiter un tel "filon", indigne selon lui d'un artiste. Il réalise ainsi une et une seule tête de mineur en 1956, pour montrer comment il envisage ce sujet : il aurait pu l'imaginer et donner de l'image un tour romantique comme c'est très souvent le cas, mais il demande simplement à un mineur de retour du fond, de venir chez lui dans son atelier sans passer par les douches et en vêtement de travail, ce qui, d'ailleurs, désappointe fort ledit mineur. Roger Aliquot réalise donc au fusain et au conté cette unique "Gueule noire" aux yeux liquides et aux lèvres blanches pour en finir une fois pour toutes et pouvoir répondre à ceux qui lui en demandent une : " c'est fait ! ".
Ce portrait est évidemment remarqué, y compris lors de l'exposition à la Galerie Chardinà PARIS en 1956. Aliquot, avec des moyens très simples, atteint une grande intensité de présence. Son art est tout entier dans sa "Tête de Mineur" calme, puissante, et qui transcende la réalité à force d'être dans la réalité. (J. SAUCET) Et la revue Lumières sur la Mine, périodique des Houillères, de se faire l'écho de ce succès, reprenant la formule du critique et ajoutant : Ce succès complet qu'il obtint est pour nous aussi un réconfort. Dans notre région minière où le travail efface et domine toute autre occupation, l'art est devenu une chose superflue. Roger ALIQUOT a démontré à nos compatriotes que l'on pouvait habiter notre triste région, et être un grand artiste. J'ai voulu le féliciter au nom des " Lumières sur la Mine ". |