Comme tous les appelés, Roger Aliquot avait fait son service militaire mais il n'était pas militariste. Artiste dans l'âme et dans l'esprit, pourquoi aurait-il changé quand la guerre est arrivée ? Sa formation professionnelle en arts graphiques et ses goûts pour les pratiques artistiques qu'il a développées jusque-là (violon, comédie et chant dans des opérettes…) le mènent à poursuivre ces activités dans le contexte de la "Drôle de guerre" dès les premiers mois de sa mobilisation. Car l'armée en temps de paix mais plus encore en temps de guerre est un monde en marche et a besoin de toutes les compétences. C'est ainsi que, mobilisé en septembre 1939 dans un bataillon de chasseurs à pied cantonné d'abord dans la région de Sissonne, il est affecté comme secrétaire auprès du commandant de son bataillon et nommé "dessinateur du bataillon".
Cela ne l'empêchera nullement de participer comme soldat aux opérations quand elles se déclencheront : montée en ligne le 28 février près de Bouzonvile dans la région de la Nied, départ pour Brest le 26 mars afin d'embarquer à bord du vaisseau Le Compiègne à destination de la Norvège, stationnement au large des côtes écossaises dans la Firth of Clyde en vue de Glasgow. Retour vers Brest le 19 mai et combats dans la Somme début juin puis après la défaite du bataillon, repli vers l'arrière pour être fait prisonnier le 12 juin et emmené dans le camp de Couterne d'abord puis à Mayenne jusqu'en décembre 1940, date à laquelle il s'évade pour échapper au départ en Allemagne pour le STO. La correspondance que Roger a échangée avec Irma Maës, sa future femme, témoigne du fait que, quelle que soit sa situation, artiste en titre aux armées, soldat dans la guerre ou prisonnier dans le camp, il ne manque jamais d'éprouver ses talents artistiques et de les mettre au service de ceux qui l'entourent. Mais écoutons-le plutôt à travers des extraits de cette correspondance : |
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27 décembre 1939 (du côté de Sissonne)Je suis dans un bataillon de Chasseurs
"quelque part en France". Nous ne sommes pas encore montés
en ligne. Nous sommes cantonnés dans une petite ville du
côté de Sissonne. Il y fait très froid en ce
moment. Je suis affecté secrétaire du Commandant et
dessinateur du Bataillon. J'ai beaucoup de temps à moi ce
qui me permet de faire des portraits, dessins, etc…
[…] 2 février 1940 (ibidem)Pour l'instant je jouis de pas mal de
liberté. Je l'emploie du mieux possible, je fais de la
peinture, je dessine, je bouquine, etc. J'ai un camarade
très bon pianiste (1er prix de Bruxelles) nous nous
réunissons de temps en temps dans une ferme où il y
a un piano. Il nous donne de la bonne musique et parfois je
chante. Jusqu'à présent nous sommes toujours
restés dans des secteurs plus que calmes mais est-ce que
cela va durer.
7 mars 1940 (dans la Nied près de Bouzonville)Ici, tout va bien pour le moment, je pense que je ne risque pas d'être prisonnier. Cette recommandation m'amuse beaucoup. Je reconnais mon avantage d'être à l'intérieur et de m'occuper de la partie dessin du bataillon ; mais nous sommes à la portée de l'artillerie et il suffit d'un obus bien placé, un jour d'orage. On ne fait pas d'omelette sans casser d'œufs. 31 avril 1940 (Brest)Brest - Mercredi midi 25 août 1940 (camp de prisonniers de Mayenne)Ici, je ne suis tout de même pas
dans une oisiveté complète. Il y a toujours
quelques petites corvées, ou je dessine plus ou moins
quand je m'y mets.
Mayenne le 4 septembre [1940]J'attends en vain de vos nouvelles.
Aujourd'hui, je me suis permis de déjeuner au restaurant,
quel luxe ! Oui, je suis de sortie tous les jours si bon me
semble. Je fais des aquarelles de Mayenne qui est une petite
ville très pittoresque. Je pense que si vous n'avez pas
changé d'idée, si vous désirez toujours
venir me voir, ce sera favorable en ce moment, très
favorable car nous pourrons nous donner rendez-vous dans Mayenne
et comme je suis libre de huit heures du matin à huit
heures du soir, je crois qu'il faut en profiter. Mayenne le 18 septembre [1940][…] Pour ma part, je vais bien.
J'ai quitté cette vie de farniente que je menais au camp.
Je vous en ai déjà parlé. Je ne le regrette
pas parce que le temps passe plus agréablement. Les
laisser-passer ont été suspendus (pour un temps
j'espère) mais j'arrive à sortir encore
quelquefois. J'ai fait du paysage à Mayenne et je me
retrouve. 14 octobre 1940 (camp de prisonnier de Mayenne)Plus cela va, plus je suis occupé.
Je travaille beaucoup. Ma vie ici est supportable. 20 novembre 1940 (camp de prisonniers de Mayenne)
29 novembre 1940 (camp de prisonniers de Mayenne)[…] En effet, je connais bien
Mayenne et la campagne des environs. C'est le type de la
charmante petite ville de province avec ses papotages et ses
ruines moyenâgeuses. Les habitants ne l'apprécient
pas assez, mais un Parisien habitué à cette vie
abrutissante de la grande ville où chaque individu,
tellement pressé, ne prend pas le temps de vivre, un
citadin qui admire la vie et qui veut vivre lui-même en
goûte toute la poésie. |
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Malheureusement ces écrits et ces quelques documents sont les seules traces connues à ce jour des travaux qui ont pu émailler ce parcours chaotique. En décembre 1940, devant les menaces de départ en Allemagne pour le STO, Roger Aliquot se fera la belle avec un camarade et vivra sous une fausse identité sous le nom de Roger Jérôme à Tours jusqu'en juillet 1942, date à laquelle il se marie avec Irma et s'établit à Mouvaux dans le Nord. |