Être indépendant en tout

" Être indépendant en tout " voilà son credo et le seul moyen que Roger Aliquot a trouvé pour cultiver une relative liberté de ton que l'on retrouve jusque dans ses convictions les plus profondes. Catholique, il est croyant et pratiquant à ses heures. Il crée bénévolement une crèche pour l'Église Saint-Martin d'Hénin-Liétard et, chaque année, il l'installe et l'entretient. Pendant longtemps, ce sera sa façon de manifester sa foi.

Autre manière : le choix de sujets religieux dans ses peintures et l'interprétation directe qu'il en donne, interprétation parfois discutée :

Christ - 1952 - Huile
Christ - 1952 - Huile

" […] (Le) visage du "Christ", œuvre très recherchée et que nous estimerions parmi les plus élevées de l'artiste si, à notre sens, l'expression de l'"Homme de douleurs" qui "s'est fait péché pour nous" n'y était poussée jusqu'à un réalisme un peu rebutant […] " (J. BL TAVERNIER - presse locale à propos de l'exposition à la galerie municipale de Tourcoing - mars 1955)


haut de page

Exposition d'Art sacré de juin 1947

Autre témoignage de sa foi : il participe à l'exposition d'ART SACRÉ organisée en juin 1947 par l'Évêché de Lille, à l'occasion de l'inauguration des nefs de la cathédrale de Lille, exposition à laquelle participent entre autres : Eugène LEROY, Maurice MAES, Jean VAN HECKE, Emile FLAMANT, Eugène DODEIGNE. Il y expose deux toiles : Extérieur de la cathédrale de Tours pavoisée et Le Démon aux Enfers, qui recueillent l'approbation de l'organisateur Mgr Lotthé.

Catalogue de l'exposition sur l'Art sacré de juin 1947 - couverture
Catalogue de l'exposition sur l'Art sacré de juin 1947 - couverture

Catalogue de l'exposition sur l'Art sacré de juin 1947 - page de garde
Catalogue de l'exposition sur l'Art sacré de juin 1947 - page de garde


haut de page

1955 : nouvel assaut pudibond des autorités religieuses

Roger Aliquot eut l'occasion d'essuyer la censure ecclésiastique, empreinte de pudibonderie, à plusieurs reprises. En décembre 1944, Roger Aliquot sollicite le concours de l'abbé Fernand Soenens, critique d'art à La Croix à Lille pour inaugurer son exposition à la Nouvelle Galerie d'Art, Rue Esquermoise. En retour, il reçoit ce courrier :


LA CROIX DU NORD
15, Rue d'Angleterre, 15
LILLE

Lille le 1er décembre 1944

Mon cher Ami,

Je suis bien ennuyé mais je compte sur vous pour me tirer d'embarras ; c'est indispensable.
Je viens de voir au catalogue des " nus ". Dans le passé, j'ai eu des histoires et reçu 
des lettres sévères de visiteurs pour avoir rendu compte des expositions où ils se trouvaient
et ici j'inaugure ! Au nom de La Croix ! Je crois que ces n° feraient tort à l'école
que vous voulez organiser et à moi-même. D'ailleurs, ils sont invendables.[sic!]
 
Pour toutes ces raisons, je vous prie instamment de ne pas les accrocher, au moins 
le jour de l'inauguration, et de les barrer sur vos catalogues à la disposition 
des visiteurs.
Toutes nos bonnes raisons à opposer n'y peuvent rien.
Nous ne pouvons pas, moi au moins, je ne peux pas, dans la circonstance, 
heurter de front la prévention de certain public lillois qui fréquente les expositions.

Avez-vous songé à la publicité ? Vous savez qu'à La Croix, comme pour tous 
les journaux, c'est une condition sine qua non de compte-rendu ? Vous pouvez 
la donner au bureau de Tourcoing, ce qui vous dispensera du voyage à Lille.

Et tout ceci réglé, je vous redis à samedi.
Veuillez présenter mon respectueux souvenir à Madame Aliquot et
                                                                              Bien à vous
                                                                           Abb. F Soenens


En mars 1955, Roger Aliquot adresse un courrier à Mgr Lotthé. Il le prie de bien vouloir prêter son concours à l'inauguration du Salon du Nord qui doit se tenir en octobre et novembre de la même année. Le prélat prudent, soucieux de ménager les bonnes mœurs de ses ouailles et sa propre respectabilité de Berger, décline cette invitation pour la raison suivante : " Il ne s'agit, bien entendu, ni des figuratifs et des abstraits, les deux formes ont leur intérêt, mais uniquement de certains sujets que pourraient traiter des artistes conformément aux usages des expositions de peintures. ". Ce qui n'empêche pas Monseigneur de prier Roger Aliquot d' "excuser [sa] réponse ce qui ne [l'] empêchera pas d'aller voir cette exposition"...


haut de page

Liberté de ton : la foi n'empêche pas l'œil critique

Toutefois, son attachement à sa foi ne l'aveugle pas et, si son œuvre comporte quelques sujets religieux traités avec une réelle émotion intérieure, respect et déférence...

Christ en croix - 1960 - Huile - reproduction photo argentique
Christ en croix - 1960 - Huile - reproduction photo argentique

Le Chœur - 1966 - Huile
Le Chœur - 1966 - Huile

elle se fait volontiers critique ou, à tout le moins, met en question certaine comédie sociale (Les Sœurs, Sortie d'église , etc.) qu'il traite sans parjure avec humour.

Voici, par exemple, la lettre qu'il adresse à Irma, sa future femme, à propos d'une scène qu'il a vue à Tours le 30 novembre 1941, scène qui lui inspirera la Procession de moines, œuvre peinte en 1954.

Procession de moines - 1954 - Huile
Procession de moines - 1954 - Huile (Photo de presse)

Lettre à Irma Maes

Le 1er décembre
1941

Très Chérie,
Soir 9h30
[…] Qu'avez-vous fait de ce dimanche maussade ? À Tours, il y avait une procession importante pour la Saint-Martin. On transportait la châsse contenant une partie du crâne et un os des membres du Saint de la cathédrale à la basilique Saint-Martin. Il y avait tout un défilé d'ecclésiastiques de tous grades, des sœurs, des moines, des enfants de chœur. C'était très pittoresque et j'ai trouvé que tous ces types avaient quelque chose de moyenâgeux. Parmi les moines, il y avait des têtes tout à fait curieuses, tous barbus plus ou moins, d'une barbe qui n'avait jamais été rasée. Leur tonsure augmentait leur caractère vraiment bizarre. Parmi les religieuses, certaines avaient un teint vert, malsain, une expression un peu desséchée et abrutie. J'ai repensé en les voyant à La Religieuse de Diderot. Connaissez-vous ? Je vous recommande ce livre. Les enfants de chœur des premiers rangs étaient tout petits et mignons. Le rouge et le blanc les embellissaient, avec leur douceur naïve et les mains jointes, ils ressemblaient à des Amours costumés. Derrière eux défilaient des garçons plus grands à la tenue blanche et à la croix de bois. Ces prélats, dignes fonctionnaires, se rengorgeaient et, précédé de toute sa cour, Monseigneur nous arrosait de sa bénédiction. Je trouve que cette procession, malgré le mauvais temps avait quelque chose de spectaculaire et d'un peu ridicule et démodé. De vieilles bigotes pullulaient et bramaient avec un air consterné et provocant. Enfin, rien ne manquait : le pittoresque était au complet. […]

Votre Roger


haut de page