Roger Aliquot a dû lutter contre une certaine acculturation du public qui se méprenait sur l'apparente simplicité de ses peintures dont le dessin constitue l'essence en même temps que la structure sans laquelle sa peinture ne pourrait se définir. |
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L'exposition "Cent dessins" (1956) |
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C'est pour démontrer cette réalité du travail de l'artiste que Roger Aliquot entreprit une exposition à l'Hôtel de Ville d'Hénin-Liétard du 18 au 25 novembre 1956 où il présenta " Cent dessins " réalisés sur une courte période récente, dessins qui embrassaient tous les thèmes, les genres et les styles. Une exposition qui devait être prolongée en raison du succès remporté auprès du public. Lumières sur la mine, la revue du groupe d'Hénin-Liétard des Houillères du Bassin du Nord-Pas-de-Calais, consacre une double page d'interview de Roger Aliquot au cours de laquelle il explique son dessein. |
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Un artiste n'est jamais assez fort en dessin |
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Pour Aliquot, il convient de ne pas laisser trace du travail qui a conduit à la réalisation de l'œuvre mais de donner une idée d'achèvement telle qu'elle laisse croire à une étonnante facilité d'exécution, qui impose l'œuvre comme une évidence. |
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Journal de L'Amateur d'Art N°390 du 10 mai 1967, Page 9, citant Gérard COUCKE, critique à Nord-Matin"Le trait revêt en effet chez Aliquot une importance majeure, primordiale, qui lui permet de camper telle scène anecdotique en ne s'attachant qu'aux traits principaux et ceux-ci suffisent amplement à nous recréer l'atmosphère qu'il désire nous faire partager bien mieux que ne sauraient le faire mille petits détails, fioritures inutiles, qui encombreraient, surchargeraient cette peinture faite "tout d'un bloc", d'une facture directe qui se suffit à elle-même." Selon Roger Aliquot, en effet, le dessin est une ascèse à laquelle le peintre doit se livrer quotidiennement afin de préparer ses peintures. " Un artiste n'est jamais assez fort en dessin. Le dessin est à la base des Arts plastiques et ceci en dehors de toutes recherches picturales " précise-t-il encore dans l'interview accordée à Lumières sur la mine. Si le dessin s'oublie au moment de peindre, il resurgit par le cerne noir. Non pas le dessin initial mais le dessin épuré, réduit à sa chose essentielle, à ses lignes de forces, à son expression éprouvée par la maturation lente et torturée de la pâte de couleur, enrichie par la composition subtile de la couleur même ; car le noir de ces traits de finition n'est ni noir ni bleu. Le cerne qui marque les tableaux d'Aliquot est la résurgence essentielle des lignes absolues qui constituent le sujet traité. Si l'utilisation du cerne s'est allégée au cours du temps, la trace de cette manifestation de l'absolu géométrique du sujet est restée néanmoins. |
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Le dessin nourrit le sens profond de la peinture : deux compositions pour exemple |
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Nous illustrerons notre propos par l'examen de deux compositions : l'une où le cerne abandonne son rôle pour surligner la composition en servant le thème illustré : La Maternité de 1967, l'autre où le cerne disparaît complètement pour laisser place à un jeu géométrique de surfaces imbriquées l'une dans l'autre dans un indifférenciation également mise au service du thème illustré : Les Sœurs de 1962. |
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Dans la composition La Maternité (1965), la mère, campée sur ses deux pieds, porte un enfant dans ses bras. Aliquot souligne l'unicité du sujet, le concept de maternité en inscrivant la pose de la mère et l'enfant dans un cercle parfait, bien présent graphiquement mais autrement que sous la forme d'un cerne, symbolisant ainsi le cycle de la vie. |
Dans la composition Les Sœurs (1962), les personnages fusionnent en une surface sombre formant une double pyramide ; on ne distingue plus de ces êtres humains que le nez qui dépasse, lui même évocation pyramidale. Leur individualité niée par la fonction que les sœurs épousent elles-mêmes en déclarant leurs vœux est ainsi mise en scène selon une triple négation : négation de l'individu sur le plan du thème, négation par le vêtement et négation même de l'apparence physique et cette triple négation s'exprime à travers un motif géométrique simple, le triangle, dont la pointe dressée nous laisse interdit devant ce paradoxe : adoration ou remise en cause ? Adoration supposée des sujets et sentiment partagé du spectateur par cette remise en cause de soi ? |