Roger Aliquot et le Marchand de tapis en 1973
Roger Aliquot et Le Marchand de tapis (1970) en 1979

Entretien télévisé,

Interview : Marc DROUET, réalisateur : Bernard CLAES , prises de vue réalisée en février 1973, émission diffusée dans l'émission "En Nord et en couleurs" le dimanche 2 juin 1973 sur la 3e chaîne et le samedi 9 juin sur le 1ère et 2e chaîne de l'ORTF .

Formation

Marc DROUET : Aliquot, comment l’idée vous est-elle venue de peindre ?

Roger ALIQUOT— C’est-à-dire que j’ai commencé tout jeune comme on faisait son apprentissage jadis, en étant dessinateur, en apprenant le dessin... Du dessin, j’ai fait les arts graphiques et de là, de la peinture.

— Pourquoi peignez-vous plus particulièrement ?

— Pourquoi l’on peint ? Vous me posez là une question ! C’est comme si vous demandiez pourquoi un chanteur chante... C’est un besoin, c’est l’instinct qui parle, l’instinct de devoir traduire une émotion, une idée, un sentiment à travers la couleur, par la forme.

L’art majeur des compositions : L’enterrement

Voyez cette composition de L’Enterrement...

C’est ce que je qualifierais composition que j’appellerais tragi-comique et ça se divise au fond en deux parties : la partie de gauche est composée des chevaux et du personnage, du cocher qui ont quand même un air cocasse, un peu comique. J’y ai traduit le côté un peu ridicule de la pompe funèbre. Par contre à droite, alors là c’est le drame, la douleur... Voyez, ni fleurs ni couronnes... On est vraiment plongé dans la misère et le désarroi... Et puis j’ai voulu traduire la vie et la vie je la traduis par les roues : vous voyez, le mouvement des roues qui donne, d’abord par la couleur jaune de chrome et une sorte de mouvement des roues, qui donne une idée de la vie qui continue... Vous savez : on a coutume de dire, quand on va à l’enterrement : " Eh bien, c’est la vie !...  " Ce sont des images un peu toutes faites, des images populaires, " C’est la roue qui tourne... "

 L’enterrement - (composition) - Roger Aliquot - 1956 - photo de presse
L’enterrement - (composition) - Roger Aliquot - 1956 - photo de presse

L’art et la vie

— Vous êtes restaurateur. Vous êtes avant tout restaurateur ou peintre ?

— C’est-à-dire que je suis l’un et l’autre mais pas aux mêmes heures. Je ne mélange pas les deux. [Pour en savoir plus sur Aliquot - "Restaurateur"]

Dans la vie il y a le travail quotidien. La vie est là et nous mène... En général, vous savez, les peintres ont toujours un à-côté. On a connu des peintres qui étaient conservateurs de cimetière, d’autres faisaient des vitraux, un autre professeur de dessin. Il faut avoir un à-côté pour rester libre et indépendant. Alors, je suis très absorbé d’une part par le boulot et d’autre part par le travail. Pour moi, l’art c’est le travail. Le travail intelligent.

Un art de la vie : joindre l’utile à l’agréable

— Qu’est-ce qui prime : la cuisine ou la peinture ?

— "Il faut vivre d’abord et philosopher ensuite". Vous connaissez le proverbe... Malgré tout, j’aime beaucoup l’art culinaire, j’ai le culte du bon vin : j’aime le bon vin et, pour moi, les gens qui viennent chez moi, qui se régalent en faisant un très bon repas avec des plats choisis. Au fond, c’est un art comme un autre... Et je joins l’utile à l’agréable !

 Le Troupeau - (composition) - Roger Aliquot - 1963 - photo de presse
Le Troupeau - (composition) - Roger Aliquot - 1963 - photo de presse

D’une image vue retranscrire sa vision et par son graphisme en extraire tout le suc

Un troupeau m’a donné cette sensation d’un bloc, vous savez que c’est un bloc qui se déplace à gauche et à droite et c’est pourquoi la masse du milieu ressemble plus à un bloc qu’à des moutons. De là l’idée du troupeau.

A gauche et à droite : l’âme du troupeau, c’est-à-dire le berger d’abord et le chien à gauche. Voyez ces deux masses sombres s’équilibrent l’une et l’autre. Observez le rythme horizontal qui se retrouve dans le troupeau, dans les nuages et dans la terre... Voyez ce qui donne cette impression de sérénité, de tranquillité, de repos.

L’inspiration est partout : ouvrez les yeux !

— Où est-ce que vous allez chercher votre inspiration ?

— Eh bien : dans la vie, autour de moi, dans le quotidien, dans la rue, ... un visage, un oiseau qui passe, un parc public, des croquis, dans le train... Vous savez, il suffit d’observer autour de soi ; l’inspiration est partout.

Je rencontre souvent des gens qui me disent : " mais comment ? Vous êtes à Hénin-Liétard et vous arrivez à peindre ? Apparemment ça n’est pas un très beau pays ! " Mais je leur rétorque : " mais on peindrait dans un désert encore ! "

Ce sont des sujets que l’on voit dans la vie assez couramment notamment la sortie d’église : dans toutes les sorties d’églises de tous les villages de France, on peut retrouver ces personnages-là. Evidemment je vois le côté légèrement humoristique et je donne des personnages ce côté un peu "caractère" mais poussé presque au caricatural.

 Sortie d'église - (composition) - Roger Aliquot - 1968 - photo de presse
Sortie d'église - (composition) - Roger Aliquot - 1968 - photo de presse

 Les Moines - (composition) - Roger Aliquot - 1954 - photo de presse
Les Moines - (composition) - Roger Aliquot - 1954 - photo de presse

Chez les moines, la procession de moines, c’est la même chose : j’ai vu à Tours une procession où l’on retrouvait le caractère de ces personnages, très différents les uns des autres et réunis là en file indienne.

L’observation, la notation (le croquis), l’analyse

Il suffit d’observer autour de soi et de faire des croquis. Dans un marché par exemple, un marché forain. Faites quelques croquis de personnages, on retrouve des têtes très opposées... L’une ronde et joufflue, l’autre filiforme... couleur verdâtre...

On retrouve des personnages contrastants et c’est là où, nous autres peintres, nous devons traduire cette vérité que l’on trouve dans la nature et la placer sur la toile.

L’art figuratif ne se donne pas si facilement : ouvrez les yeux de l’intelligence et du coeur !

Ce que je souhaite, c’est que l’on comprenne ma peinture. Apparemment, elle est figurative ; mais vous savez, l’art figuratif, ce n’est pas parce qu’il est figuratif qu’il est compris...

Il y a derrière une figuration courante une idée qui peut parfois être profonde. Donc, j’essaie de traduire dans cet art figuratif soit une métaphore graphique soit une idée philosophique ou symbolique même.

Deux images de la femme : l’une absolument niée, l’autre à la typicité hypertrophiée

J’ai vu passer ces religieuses à Lille. Ce qui m’a frappé c’est de voir ces deux triangles —au fond qui n’en font qu’un— où l’on sent totalement la dépersonnalisation des personnages, où la femme ne compte plus : c’est la religieuse qui parle.

 Les Religieuses - (composition) - Roger Aliquot - photo de presse
Les Religieuses - (composition) - Roger Aliquot - photo de presse

Sur un journal on parlait des Sorcières de Salem, sorcières... Je me suis dit : " Tiens ! il y a un composition à faire avec cela et j’ai pensé à faire ce groupe de sorcières dansant. Vous avez trois types de sorcières : à gauche le monstre, à droite la mégère et au centre l’envoûteuse, voyez... la belle fille qui use de ses charmes... Au milieu : un feu, des fumées et ces sorcières dansent, c’est une sorte de sabbat, assez tourmenté.

 Les Sorcières - (composition) - Roger Aliquot - 1957
Les Sorcières - (composition) - Roger Aliquot - 1957

Le choix entre manger ou peindre

— Une dernière question : si on vous demandait de choisir entre être restaurateur et être peintre,  que choisiriez-vous ?

— La réponse est toute trouvée : ce serait uniquement peintre. Remarquez que je fais le restaurateur parce que c’est une nécessité. Pour être libre.

— Mais si vous deviez choisir ?

— Peintre. Ça tombe sous le sens. "

Roger Aliquot sur la place d'Héénin filmé par l'ORTF en février 1973
Roger Aliquot sur la place d'Hénin filmé par l'ORTF en février 1973

haut de page